Éditions GOPE, 13 x 19 cm, 228 pages, ISBN 979-10-91328-45-6, 18.85 €

jeudi 19 avril 2018

Extrait audio de Bâton de Réglisse : Chapitre 18




18

« MYGALE, pourquoi tu as tant de colère en toi ? N’es-tu pas con¬tente d’avoir bientôt tes petits ?
— …
— Je voudrais devenir mère aussi, un jour. Avoir plein d’enfants, comme toi. Tu vois, ce n’est pas si terrible d’être une araignée. Tu peux avoir plein d’enfants à la fois, alors que moi, je ne peux pas en¬core. Moi, je n’ai que toi et mes sœurs et mon frère et Mister Rabbit.
— …
— Je n’ai pas beaucoup d’amis à l’école, tu sais bien.
— …
— Ah oui, Nguyêt. Je l’aime bien aussi. C’est ma mère. Mais elle est méchante avec les autres. Les voisins disent que c’est un monstre, et qu’en plus elle fait de l’inceste.
— …
— De l’inceste, c’est quand une maman est amoureuse de son enfant. Ce n’est pas bien parce que ça fait des bébés déformés et fous. Une fille de mon école m’a dit que ses parents avaient dit que Nguyêt était amoureuse de Louis et que c’était pour ça qu’elle était méchante avec Marguerite. C’est une jalouse.
— …
— Vraiment, je ne sais pas si avant de faire de l’inceste et d’être une marâtre, c’était une petite fille comme les autres. Les parents de la fille de ma classe disent qu’elle a toujours été un monstre.
— …
— Mais bien sûr que si, les monstres existent. Pourquoi ils n’exis¬teraient pas ? Il y en a plein dans les histoires. 
— …
— Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas payé le Joueur de flûte qu’il fallait tuer tous les enfants. C’est monstrueux, ça. Quoi, que dis-tu ?
Il n’y a plus de monstre quand on apprend à connaître le monstre, petite Minh. Sous le masque, il y a toujours la blessure. Jamais les hommes ne de¬vien¬nent monstres de leur plein gré. C’est le monde des adultes qui crée les monstres, en refusant de chercher à les comprendre. En appelant l’Homme “monstre”, il dit : “je refuse de savoir comment tu en es arrivé là. Tu es l’Autre”. 
— Mais pourquoi font-ils ça, alors ?
Parce que ça les rassure… 
— Oui, tu as sûrement raison. Moi, si je découvrais un mons¬tre, j’essaierais de le comprendre. Je le protègerais et je le garderais avec moi. Je chercherais à comprendre d’où il vient. Quelle route il a prise. Et quand je comprendrais comment il est devenu mons¬tre, je me sentirais plus grande. Plus grande que les adultes.
Et moi, Minh, tu penses que je suis un monstre, alors ?
— Non, je ne pense pas que tu sois un monstre, toi. Tu es mon amie. »


Bâton de Réglisse, Valérian MacRabbit, éditions Gope, 2017
Lecture : Méghane Sardin
Musique : The Boy who drew cats (Jacqueline Lemasle / Nicolas Nieto)

jeudi 12 avril 2018

Extrait audio de Bâton de Réglisse : Le Prince des Terres du Vent




11 – LE PRINCE DES TERRES DU VENT

Le Prince passa la tête dans l’encadrement de la trappe. Il se trouvait en face de la baignoire de Nguyêt, qui se dessinait en creux. Elle donnait sur un long couloir de pierre, avec des allées parallèles. Il connaissait bien cet endroit pour s’y être souvent introduit durant son enfance. Le passage menait au cœur du vide sanitaire, aux tréfonds des fondations de la maison. Le Prince, alors qu’il était petit garçon, aimait y pénétrer pour se faire peur mais, un jour, Nguyêt avait fait condamner l’entrée extérieure. Le Prince n’avait jamais su qu’il y avait un autre accès depuis la chambre de ses petites sœurs. Il était trop grand pour y pénétrer à présent, mais Franceline y parviendrait probablement. 
Le Prince scruta le bout du couloir. Il lui sembla distinguer des formes dans la pénombre, tout au bout. Il regarda sur les côtés. Ses yeux s’habituaient au noir. Il se contorsionna pour jeter un œil vers le plafond, inquiété par les arachnides et les mille-pattes qui pouvaient à tout moment décider de faire festin de son crâne. 
Louis leva les yeux. Sa respiration se coupa et ses muscles se contractèrent sous la stupeur. 
À quelques centimètres de lui seulement, sur la paroi grisâtre du haut, une petite silhouette le fixait de ses yeux rouges. Elle était comme collée au plafond, les mains et les pieds accrochés comme des ventouses. Elle le touchait presque. 
Louis restait silencieux, paralysé par la peur.
La bête émit un râle glaçant avant de s’enfuir, les pattes toujours collées au plafond, provoquant un bref mais bruyant éboulement de gravats sur son passage.

Bâton de Réglisse, Valérian MacRabbit, éditions Gope, 2017
Lecture : Méghane Sardin
Musique : Stray with me (Valérian MacRabbit/Jacqueline Lemasle/Nicolas Nieto extrait de l'album The Freak Parade)

jeudi 5 avril 2018

Extrait audio de Bâton de Réglisse : La fileuse aux fuseaux de laque


7 – LA FILEUSE AUX FUSEAUX DE LAQUE

LA JEUNE FILEUSE CARESSAIT son métier à tisser de ses doigts de fée. La lumière vermeille colorait son teint blanc, complice de sa beauté. Le temps s’écoulait paisiblement en cette journée de vacances. Les doigts agiles arpentaient et chutaient contre l’étoffe, se heurtant parfois au métal de son pouce gauche. La jeune fileuse fredonnait un chant d’amour.
Soudain, Nguyêt fit son apparition dans la chambre. C’était une cruelle sorcière. Elle détestait la fileuse parce qu’elle était jalouse de sa beauté. Ce n’était pas que Nguyêt était laide, loin de là ; elle était probablement la plus belle femme de toute l’île d’Askalie. Mais la fileuse possédait quelque chose que Nguyêt avait perdu à jamais : la jeunesse. Elle lui ressemblait pourtant, avec son teint crayeux et ses yeux ténébreux. Cela poussait Nguyêt à la détester encore plus. 
En voyant sa marâtre, la fileuse avait été tellement surprise qu’elle s’était piqué le doigt. Une goutte de sang perlait.
Nguyêt ricana : 
« Alors, Mademoiselle, on est maladroite ? »
La fileuse baissa les yeux humblement : 
« Que souhaite Madame ? »
Nguyêt s’approcha de la jeune fille et saisit sa main blessée, qu’el¬le porta à ses yeux. Le sang perlait toujours sur le majeur. Elle traqua toutes ses imperfections, en quête d’une parole humiliante à adresser. Mais elle ne trouva rien. Furieuse, elle ordonna alors à la fileuse : 
« Ces mains-là sont bien trop futilement utilisées. Tordre le fil ne nourrit pas une famille. Va plonger tes mains dans la viande, et fais-moi le plat le plus délicieux que je n’aie jamais goûté. Mes invités de ce soir seront affamés. »
La fileuse tremblait de terreur : 
« Et si j’échoue ?
— Si tu échoues, je te mangerai. »

Bâton de Réglisse, Valérian MacRabbit, éditions Gope, 2017
Lecture : Méghane Sardin
Musique : Family Day (Valérian MacRabbit)