Éditions GOPE, 13 x 19 cm, 228 pages, ISBN 979-10-91328-45-6, 18.85 €

vendredi 11 mai 2018

Extrait audio de Bâton de Réglisse : La petite fille à la muraille




50

FRANCELINE TENAIT LA PETITE FILLE à la muraille par la main. Elle savait ce qui allait se passer, à présent. La petite fille allait la mener à la chambre. Elle allait voir. Tout.
La petite Franceline avait la peau douce, sa main ne transpirait pas. Elle poussa la porte de bois blanc, puis, brusquement, arrêta son mouvement. De l’autre côté, les premiers bruits du trépas se faisaient entendre. La petite fille se tourna vers Franceline et lui dit :
« Tu as oublié ce jour, Franceline, et c’est à partir de ce jour que nous nous sommes séparées. Tu as oublié, et en oubliant, tu m’as reniée. Tu as renié ton enfance. Tu as perdu l’innocence. »
Elle s’arrêta.
Les yeux de Franceline brillaient d’émotion.
« Ce que nous allons vivre toutes les deux, aujourd’hui, c’est-ce que nous aurions dû vivre ensemble il y a vingt et un ans. Ne me rejette pas, Franceline. Ne m’abandonne plus. »
Franceline contempla l’enfant qu’elle avait été, avec sa coupe à la garçonne, ses grosses lunettes noires et son appareil dentaire. Soudain, elle admira le regard franc et courageux qui animait la petite fille. Elle n’avait jamais pris conscience qu’elle avait eu ce regard, étant enfant. Pour la première fois de sa vie, elle se trouva belle. Déterminée, elle finit de pousser la porte de bois blanc. Des bruits de succion retentissaient à ses oreilles.
La petite fille à la muraille et la grande revenante entrèrent, main dans la main, dans la pièce, prêtes à contempler l’horreur dans les yeux. Ensemble.


Bâton de Réglisse, Valérian MacRabbit, éditions Gope, 2017
Lecture : Méghane Sardin
Musique : Innocence (Valérian MacRabbit)

jeudi 3 mai 2018

Extrait audio de Bâton de Réglisse : Le lac de sang



36

Elle courut sur le podzol. Elle s’enfonçait, parfois, mais ne sentait pas la fatigue. Telle était son illusion. 
Après quelques minutes de course, elle aperçut enfin l’animal qui, perché sur une petite butte, la regardait, au loin, comme s’il l’attendait. Elle cria de joie et se précipita dans sa direction.
« Mister Rabbit, Mister Rabbit ! »
Plusieurs cônes volcaniques s’étaient érigés sur la plaine. De la lave orangée et sirupeuse se déversait sur la neige fulminante. 
Minh s’arrêta, absorbée par le spectacle. Le ciel avait pris une teinte légèrement violette. Elle s’aperçut qu’il n’y avait pas de soleil. De l’autre côté de la plaine aux volcans, des icebergs déchiraient la ligne d’horizon, ce qui voulait dire que la mer était toute proche. Minh se gorgea de cette vue et gloussa de plaisir. 
Le lièvre attendait toujours sur sa butte qu’elle vienne le rejoindre. 
Elle courut. Au moment d’atteindre la butte, un détail l’arrêta. Elle se rendit compte que le lièvre la fixait avec insistance.
Les yeux joueurs de l’animal avaient rougi. Ils la fixaient avec dureté à présent. L’animal était livide, presque translucide. 
Minh le scruta avec méfiance, à mi-chemin du sommet de la petite butte. 
« Qui es-tu ? », murmura-t-elle. 
Le lièvre grogna. 
Minh reconnut instantanément ce grognement. 
L’animal disparut de sa vue, de l’autre côté de la butte.
« Attends ! Attends-moi ! cria Minh. Pourquoi es-tu là, Bâton de Réglisse ? Il faut que tu m’expliques. Reviens ! »
Elle courut jusqu’au sommet et, trébuchant, dévala la butte en roulant. 
Ce n’était plus drôle à présent, pensa Minh.
D’un revers de la main, elle dégagea la neige qui l’avait re-cou¬verte dans sa chute. La tâche fut aisée car c’était de la poudreuse.
Elle se dégagea et regarda devant elle. Le lièvre se tenait auprès d’un grand lac d’eau noire. Des arbres morts ceinturaient le lac. En s’approchant, Minh s’aperçut qu’il s’agissait en fait d’une liqueur rouge et visqueuse. 
C’était un lac de sang.
« Bois-moi, chuchotait le lac, bois-moi. »
Minh frémit. 
Le lièvre la regardait de ses yeux rouges.
« Bois moi et tu auras le repos éternel », fit le lac.
Minh poussa un long hurlement.

Bâton de Réglisse, Valérian MacRabbit, éditions Gope, 2017
Lecture : Méghane Sardin
Musique : An industrial Dream (Valérian MacRabbit)